LACLOS : LES LIAISONS DANGEREUSES : LETTRE LXXXI
(81) : LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE
VALMONT : AUTOPORTRAIT DE LA MARQUISE
(COMMENTAIRE COMPOSE)
Introduction :
Le texte que nous étudions a été écrit en 1782 par Choderlos
de Laclos, auteur du XVIIIème siècle (1741-1803). Tout en
étant capitaine d'artillerie, il commence à écrire sa première
oeuvre "Ernestine ". Mais après ses échecs militaires il se
consacre totalement à l'écriture. Il commence donc l'écriture
des "Liaisons dangereuses ", qui seront vivement critiquées par
la société de l'époque, très puritaine et réticente à tout forme
de libertinage, alors même que ce livre en est un exemple.
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Laclos est considéré comme l'homme d'une seule oeuvre,
celle dont est tirée l'extrait de la lettre que nous étudions,
mais il a cependant aussi écrit le traité des femmes,
mouvement des Lumières et du libertinage.
"Les Liaisons dangereuses " est un roman épistolaire qui
repose sur le mensonge et le libertinage, avec pour
personnages principaux la Marquise de Merteuil et le Vicomte
de Valmont, anciens amants, complices qui se sont alliés, l'un
pour conquérir une femme prude, l'autre pour se venger d'un
ancient amant : Gercourt. Ils jouent des autres dans le
domaine de la domination et des sentiments.
Dans une lettre précédente, Valmont a écrit à la Marquise pour
la mettre en garde contre Prévant. Cette lettre provoque une
réponse de la Marquise, longue lettre dans laquelle elle fait
une présentation d'elle-même, une analyse qui insiste sur sa
personnalité et sa manière de se comporter en société.
Problématique : Montrer que dans ce texte la Marquise veut se
présenter comme un stratège.
Nous verrons tout d'abord l'orgueil de la Marquise puis
l'alternance entre les phases d'observation et les phases
d'action.
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Texte étudié :
Mais moi, qu'ai-je de commun avec ces femmes
inconsidérées ? Quand m'avez-vous vue m'écarter des règles
que je me suis prescrites et manquer à mes principes ? je dis
mes principes, et je le dis à dessein: car ils ne sont pas,
comme ceux des autres femmes, donnés au hasard, reçus
sans examen et suivis par habitude ; ils sont le fruit de mes
profondes réflexions; je les ai créés, et je puis dire que je suis
mon ouvrage.
Entrée dans le monde dans le temps où, fille encore, j'étais
vouée par état au silence et à l'inaction, j'ai su en profiter pour
observer et réfléchir. Tandis qu'on me croyait étourdie ou
distraite, écoutant peu à la vérité les discours qu'on
s'empressait de me tenir, je recueillais avec soin ceux qu'on
cherchait à me cacher.
Cette utile curiosité, en servant à m'instruire, m'apprit encore à
dissimuler: forcée souvent de cacher les objets de mon
attention aux yeux qui m'entouraient, j'essayai de guider les
miens à mon gré ; j'obtins dès lors de prendre à volonté ce
regard distrait que depuis vous avez loué si souvent.
Encouragée par ce premier succès, je tâchai de régler de
même les divers mouvements de ma figure. Ressentais-je
quelque chagrin, je m'étudiais à prendre l'air de la sécurité,
même celui de la joie ; j'ai porté le zèle jusqu'à me causer des
douleurs volontaires, pour chercher pendant ce temps
l'expression du plaisir.
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Je me suis travaillée avec le même
soin et plus de peine pour réprimer les symptômes d'une joie
inattendue. C'est ainsi que j'ai su prendre sur ma physionomie
cette puissance dont je vous ai vu quelquefois si étonné.
J'étais bien jeune encore, et presque sans intérêt: mais je
n'avais à moi que ma pensée, et je m'indignais qu'on pût me
la ravir ou me la surprendre contre ma volonté. Munie de ces
premières armes, j'en essayai l'usage : non contente de ne plus
me laisser pénétrer, je m'amusais à me montrer sous des
formes différentes ; sûre de mes gestes, j'observais mes
discours ; je réglais les uns et les autres, suivant les
circonstances, ou même seulement suivant mes fantaisies :
dès ce moment, ma façon de penser fut pour moi seule, et je
ne montrai plus que celle qu'il m'était utile de laisser voir.
Ce travail sur moi-même avait fixé mon attention sur
l'expression des figures et le caractère des physionomies ; et
j'y gagnai ce coup d'oeil pénétrant, auquel l'expérience m'a
pourtant appris à ne pas me fier entièrement; mais qui, en
tout, m'a rarement trompée.
Je n'avais pas quinze ans, je possédais déjà les talents
auxquels la plus grande partie de nos politiques doivent leur
réputation, et je ne me trouvais encore qu'aux premiers
éléments de la science que je voulais acquérir.
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Analyse :
I) L'orgueil
A. Une façon de se distinguer des autres femmes
Accumulation de questions rhétoriques en début de
paragraphe : « Mais moi, qu'ai-je de commun avec ces
femmes inconsidérées ? », « quand m'avez-vous vue m'écarter
des règles que je me suis prescrites, et manquer à mes
principes ? » = volonté de se distinguer des autres femmes.
Abondance du pronom « je » ≠ « des autres femmes », après
omniprésence du « je ». « femmes » ≠ « moi ».
« Femmes inconsidérées » termes péjoratifs + « ceux des
autres femmes donnés au hasard… » (ceux = principes) =
rythme ternaire, trois expressions péjoratives = manque de
réflexion des autres femmes, contrairement à elle : « fruits de
mes profondes réflexions », « ouvrage » ≠ « hasard »,
« dessein » ≠ « hasard ».
= Elle pose l'idée que tout ce qu'elle fait est réfléchi et calculé
aussi parfois, (cf : Lettre IV de Valmont = Valmont + Merteuil
ont un point commun : l'orgueil).
B. Une revendication d'indépendance
La Marquise se veut indépendante, libre et autonome : « je suis
mon ouvrage » = elle est à la fois le sujet et le résultat de la
phrase, de l'action = elle est sa propre créatrice, « je me suis
travaillée… » sujet de son propre travail, mots ayant le même
sens, même chose pour « ce travail sur moi-même » (§3).
= Avec ces termes sur le travail = idée d'effort sur elle-même.
Utilisation de la première personne = idée d'indépendance, de
solitude.
= Orgueil car elle revendique le fait qu'elle se soit créer elle-
même, sens que si il y a la société, pour se voir supérieure
aux autres, donc idée d'indépendance artificielle. Cet effort
relève presque de la conquête guerrière.
C. L'aspect guerrier du personnage
Vocabulaire des armes : « munis de ces premières armes », ce
qui rappelle le vocabulaire guerrier de Valmont dans la lettre
XLVIII.
= Elle est une conquête guerrière et l'arme qu'elle s'est
fabriquée est sa « maîtrise d'elle-même », « ne plus me
laisser pénétrer », « je réglais », « sure de mes gestes » =
contrôle, c'est elle qui contrôle + règles et principes : « je ne
montrais plus » = elle finit par considérer son contrôle, sa
maîtrise d'elle-même comme une science + politique =
calculer une situation.
Termes valorisants, mélioratifs « succès », « puissance » =
autosatisfaction, elle se flatte elle-même : « j'ai su en
profiter », « cette utile curiosité » = autocongratulation.
II) L'alternance entre les phases d'observation et les phases
d'action
A. Un travail méthodique
Champ lexical de l'observation : « silence », « inaction »,
« observer », « réfléchir », « recueillir avec soin ».
Champ lexical de la vision : « attention », « ère », « regard »,
« coup d'oeil ».
« je me suis travaillée », « ce travail sur moi-même » = termes
sur le travail, idée d'effort, travail méthodique.
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B. La création d'un masque
Champ lexical du regard et de l'apparence : « attention »,
« ère », « regard », « coup d'oeil » mêlé au champ lexical de
l'étude : « travail », « ouvrage », « règle », « principe »,
« réflexion », « science », « réfléchir ».
= Grâce à cette alternance de phases d'observation et
d'inaction, elle expose sa stratégie, côté très méthodique, qui
lui donne un côté froid, elle crée un personnage + vocabulaire
de la dissimulation : « dissimulation », « cacher », « régler de
même les divers moments », « prendre l'air », « se montrer »,
« je me suis travaillée » = feinte, quelque chose de fabriqué.
Antithèse : « douleurs volontaires » (intérieur) ≠ « exprime du
plaisir » (extérieur).
C. L'objectif de cette stratégie
L'observation en société est quelque chose qui a une fin, un
but, avec cette idée du travail, quelque chose de professionnel
et non pas un loisir, comme c'est le cas pour la plupart des
gens.
Elle manipule les autres même pour progresser, elle va
exploiter la pensée pour acquérir la liberté.
Conclusion :
Ici Laclos utilise une stratégie : l'esprit d'examen, c'est-à-dire
ne pas accepter les choses telles nous les a apprises mais à
chercher des éléments pour les vérifier.
Différence de l'image du mal, revendications féministes de
Laclos, par rapport au fait que les femmes ne sont pas trop
prises en considération.